
Déogratias Mazina, Président du RESIRG
Colloque RESIRG: Mot d’introduction et de contextualisation du colloque
“La justice et l’écriture de l’histoire, les leçons du génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda en 1994 “.
Université Libre de Bruxelles, le 22/02/2025
Chères participantes et chers participants bonjour et soyez les bienvenus dans ce colloque intitulé : “La justice et l’écriture de l’histoire, les leçons du génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda en 1994 “.
Permettez-moi de commencer par vous remercier de comment vous vous êtes mobilisés en masse pour y participer dans ce colloque.
Je voudrais remercier l’Université Libre de Bruxelles, qui a accepté de nous accueillir aujourd’hui et de nous prêter cette sympathique salle. Que la Rectrice et son personnel en soit remerciés.
Je voudrais enfin remercier les intervenants, qui ont accepté de nous livrer leurs connaissances et leurs témoignages sur un sujet aussi pertinent et toujours d’actualité, “le génocide”.
Pour le contexte du colloque, il y a maintenant plus de 30 ans, le Rwanda était un pays déstructuré et dévasté. Il y a plus de trente ans, le Rwanda, sombrait dans une folie génocidaire qui a conduit, en un temps-éclair de seulement cent jours, à l’assassinat de plus d’un million de personnes, dans des conditions atroces.
Durant ce génocide, plus d’un million d’individus ont été assassinés, hommes et femmes, dont des vieillards, des bébés, jusqu’aux fœtus. Les femmes tutsies ont été systématiquement et sauvagement violées.
Cela a été l’aboutissement d’un processus commencé en 1959, poursuivi pendant les années qui ont suivies, jusqu’en 1994. Ce génocide a laissé la population du Rwanda traumatisée et son infrastructure détruite.
Trente années sont à la fois un moment où le génocide s’éloigne dans le temps et se rapproche dans la mémoire et dans son expression.
En effet, aujourd’hui, plus de 70 % des 13 millions de Rwandais sont âgés de 30 ans ou moins. C’est-à-dire qu’ils sont nés après le génocide. Trente ans est donc un âge intermédiaire perçu différemment pour les uns et pour les autres, selon ce qu’on a vécu.
Certains ressentent et revivent les cauchemars comme si c’était hier, d’autres arrivent à les dissimuler, d’autres encore préfèrent la fuite en avant pour ne pas y penser, au moment où d’autres, enfin, sont indifférents ou préfèrent même le nier.
Les rescapés de ce génocide portent encore les stigmates de ce génocide, les souvenirs atroces de ces images sont indélébiles.
Les commémorations qui se déroulent 30 ans plus tard, démontrent que les mémoires sont toujours comme une braise ardente et les blessures, toujours à vives.
Cela dit, le génocide perpétré contre les TUTSIS du Rwanda en 1994 est un fait de notoriété publique qui n’est plus à démontrer.
Il ne fait plus l’objet d’un débat d’identification car, il a été reconnu historiquement et juridiquement, notamment par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) dans son Jugement du 16 juin 2006 [1].
Par le Conseil de sécurité dans sa Résolution 935 du 1er juillet 1994 (S/RES/935) [2], ainsi que dans celle du 8 novembre 1994 (S/RES/955) [3].
L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté également la décision proclamant que la journée du 07 avril qui était auparavant dénommée « Journée internationale de réflexion sur le génocide au Rwanda » [4];[5], et qui est devenue « Journée internationale de réflexion sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 »[6]. Et presque tous les historiens le reconnaissent comme tel. Ce n’est donc plus “le génocide Rwandais“, mais belle et bien “Le génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda en 1994″ – n’en déplaise aux réviseurs et aux négateurs.
En ce qui concerne la justice, de nombreux génocidaires sont encore en fuite dans différentes parties du monde, en Asie, en Amérique, en Europe et dans différentes parties d’Afrique, ils n’ont pas encore été traduits en justice.
Bien que certains ont été déjà jugés par les tribunaux nationaux et communautaires au Rwanda (les Gacaca), ou par les tribunaux internationaux comme le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), ainsi que par certains tribunaux nationaux occidentaux, des milliers d’autres échappent encore à l’obligation de rendre des comptes.
Le crime de génocide ne vieillit certes jamais, mais les victimes et les autres témoins ainsi les auteurs, quant à eux, vieillissent. La mort, confirmée, de plusieurs auteurs présumés parmi les plus recherchés, avant qu’ils n’aient pu être traduits en justice, et la suspension, pour une durée indéterminée des procès de certains inculpés, en raison d’une maladie liée à leur âge, démontrent qu’il est impératif de maintenir cette dynamique.
Il reste donc primordial et urgent de continuer à juger les coupables de ce ” crime des crimes“. Il faut travailler avec la communauté nationale et internationale pour qu’ils répondent de leurs actes, afin que la justice soit faite, autant pour les victimes que pour les survivants du génocide en cause. Car tout retard dans la justice est un déni de justice.
En ce qui concerne l’écriture de l’histoire, en 30 ans, un nombre important de publications a été produit, certaines allant dans le bon sens, celui qui informe le public de ce qui s’est réellement passé, d’autres allant dans un sens qui frôle le négationnisme ou la banalisation, mais d’autres sont visiblement négationnistes. On remarque pourtant que ce génocide n’a pas encore livré tous ses secrets.
On peut comprendre comment un génocide advient (et le génocide des Tutsis a livré des leçons importantes), mais il est plus difficile de savoir pourquoi.
Au-delà des travaux purement universitaires, les travaux effectués sur ce génocide sont de plusieurs types, allant de témoignages réels des survivants à des témoignages-fictions ou à des mises en forme littéraires sur base de témoignages : articles de journaux, romans, pièces de théâtre, bandes dessinées, films documentaires, des thèses de doctorat et de master, etc.
Des questions fondamentales persistent tout de même, notamment en termes de genèse (comme l’idéologie hamitique, la manipulation des identités hutue, tutsie et twa pendant la période coloniale, etc.), ou en termes de préparation, de perpétration, mais aussi en termes de gestion de ses conséquences, alors que le temps passe, la question des meilleures méthodes de préservation et de transmission de la mémoire des victimes et de lutte contre le négationnisme.
Avec l’ampleur encore mal connue de ses dimensions religieuse, sociale, politique, de la réflexion sur l’Etat et les organisations, les savoirs portant sur le traumatisme, la reconstruction et la résilience, la connaissance du négationnisme, de l’impunité et de la réponse pénale.
Signalons aussi le lien étroit avec les savoirs de la recherche, leur pouvoir de vérité et leur transmission dans le public, notamment par l’enseignement, les formes et les modalités de préservation et d’institutionnalisation de la mémoire, tout cela reste encore à découvrir.
On remarque que beaucoup reste encore à faire et on n’est pas encore au bout des questionnements ou des surprises.
Pour cela, il faut continuer les recherches et élargir les sur l’histoire de ce génocide. Certains historiens l’ont bien compris : “Face à l’obsession des clivages identitaires, il semble que la meilleure riposte serait de redonner de la vigueur à l’histoire sociale, culturelle et économique” [7]. Il est désormais important de “décloisonner l’histoire du génocide des Tutsis et de la faire entrer dans l’histoire générale mondiale et internationale des génocides du XXe siècle” [8].
Par détour ce sera une occasion également de rendre hommage au Professeur Éric David, un grand juriste, qui nous a quittés l’année passée.
Figure de proue de la loi de la compétence universelle en Belgique, le Professeur Éric David, était spécialiste du droit humanitaire et du droit pénal international, à l’Université Libre de Bruxelles.
Il nous semblait approprié de lui rendre hommage, au sein de l’ULB, lui qui était un fervent défenseur de la lutte contre “les génocides”, un fervent défenseur de la préservation de la mémoire et des mémoriaux des victimes.
Éric David s’était beaucoup investi dans la mise sur pied du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), il a toujours été en faveur de la réparation civile due par la communauté internationale aux victimes, parallèlement à la réparation pénale sous forme de peines prononcées par les instances judiciaires contre les personnes reconnues coupables de crimes du génocide concerné.
Ce colloque reviendra donc sur les notions de justice en référence au génocide des Tutsis, telles qu’elles sont appliquées par les Etats et par les institutions nationales et internationales, pour analyser son avenir.
Il a donc pour objectif de faire un retour sur les apports respectifs de la justice de ce génocide, et sur ceux de l’histoire, en essayant de pointer les lacunes et les forces de ces approches, afin de définir des pistes de réflexion pour l’avenir.
Sur ce, je passe la parole à Madame Marie Fierens qui remplace la Rectrice pour qu’elle procède à l’ouverture de ce colloque.
Je vous remercie
[1] Jugement TPIR du 16 juin 2006: Le Procureur c. Edouard Karemera, Mathieu Ngirumpatse, Joseph Nzirorera. https://ucr.irmct.org/LegalRef/CMSDocStore/Public/English/Decision/NotIndexable/ICTR-98-44/MSC25161R0000552207.PDF
[2] Conseil de sécurité des Nations Unies-Résolution 935 du 1er juillet 1994. S_RES_935(1994) -FR (2).pdf
[3] Conseil de sécurité des Nations Unies-Résolution 955 du 08 Novembre 1994. https://unictr.irmct.org/sites/unictr.org/files/legal-library/941108_res955_fr.pdf
[4] Résolution 58/234 du 23 décembre 2003. Document Viewer
[5] Conseil de sécurité-Soixante-neuvième année Résolution 7155
[6] Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 20 avril 2020 : A_RES_74_273-FR (1).pdf
[7] JP Jean-Pierre Chrétien, Hélène Dumas. Un historien face au génocide des Tutsis. Entretien avec Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas. Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2014, Le génocide des Tutsis rwandais, vingt ans après, 122, pp.23-35. ⟨10.3917/ving.122.0023⟩. ⟨halshs-01102134⟩
[8] Hélène Dumas: Sans ciel ni terre – Paroles orphelines du génocide des Tutsis (1994-2006); Ed La découverte
18-01-2024. Collection Poche. La Découverte Poche / Sciences humaines et sociales
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